Pour moi, cette espèce n'est pas une espèce... Et je vais tenter de vous expliquer le paradoxe qui m'amène pourtant à la faire figurer ici en tant que telle...
Les spécialistes forcenés du "split" a tout va avaient des précurseurs... Bien avant les dérives de la génétique - excusez le jeu de mots - les becs-croisés d'Ecosse avaient déjà été élevés au rang d'espèce... Leurs traits spécifiques : confinés à la forêt calédonienne des Highlands, un bec plus gros et une voix différente... Admettons... C'était rigolo et ça faisait une espèce endémique pour les îles britanniques qui n'en avait pas chez les vertébrés... Seulement, on s'aperçoit qu'il y a aussi des becs-croisés des sapins qui occupent les mêmes lieux, et même des becs-croisés perroquets... Tout ce petit monde cohabite et je pense que les "gars de la recherche" préfèreraient détourner pudiquement les yeux s'ils les voyaient s'accoupler entre eux... On continue donc à considérer qu'il y a trois espèces de gros-becs bien différentes dans la forêt en question... Eblouissant, non ?...
Quant à la littérature, elle atteint des sommets d'hypocrisie... Si je résume, de façon triviale, ses descriptions elle dit que les becs-croisés d'Ecosse ont des cris différents de ceux des becs-croisés des sapins, qu'ils sont un peu plus gros avec un bec plus fort, mais pas toujours... La brièveté des rubriques concernant cette espèce en dit long d'ailleurs sur la gêne des rédacteurs... En substance, les deux espèces sont différentes, mais pas forcément !... Qu'en pensez-vous ?...
Voici maintenant ma thèse... Que je n'assènerai pas mais que je me contenterai de proposer...
Les becs-croisés, pour des raisons climatiques ou environementales, ont été récemment - à l'échelle géologique s'entend - séparés en populations dispersées... Chacun de ces contingents a développé sur son territoire des variations avantageuses qui auraient pu, si les choses étaient restées en l'état, conduire un jour à une éventuelle spéciation... Les becs-croisés d'Ecosse ont pu développer ainsi, plus ou moins selon les individus, des caractéristiques favorables dans leur environnement... Cependant, la transformation n'est pas stable et les populations des différentes "espèces" se sont chevauchées à nouveau, interrompant un éventuel processus de séparation...
C'est une gageure de vouloir jauger l'évolution à l'échelle de quelques décennies et le "split" ne date que de 1980 !... Un peu d'humilité ne ferait pas de mal...
Donc puisque l'académie considère les deux espèces comme distinctes, je considère que j'ai observé le bec-croisé d'Ecosse !... C'était en Ecosse et l'oiseau avait un culmen (partie supérieure du bec) assez fort et bien arqué... Les guides disent que l'identification est pratiquement impossible sur le terrain, mais que l'espèce est "bonne"... Je vais plus loin et retourne, avec une mauvaise foi assumée, le manque de rigueur des "inventeurs" pour dire "puisque l'espèce est bonne, elle est identifiable sur le terrain" !... Tout aussi stupide et faux, mais pas plus que l'autre, cet argument me permet une "coche", d'autant que l'oiseau correspondait aux critères (ou à leur plasticité) !... Je résume : ça peut coller, donc ça colle... Et je mets au défi qui que ce soit de me démontrer que, d'un point de vue épistémologique, mon syllogisme est plus faux que celui des gardiens du temple... Vous remarquerez que j'admets que ma démonstration n'est pas rigoureuse... L'absence de preuve devrait toujours déboucher sur une réponse à minima, en l'occurrence : deux races distinctes d'une même espèce...
Je pense par ailleurs que ces oiseaux très mobiles et abonnés à la cime de très grands arbres en milieu forestier sont difficiles à observer dans de bonnes conditions...
Je récapitule ma démarche intellectuelle (et agréablement perverse) :
- Thèse des "spécialistes" : Le bec-croisé d'Ecosse peut être une espèce, donc c'en est une...
- Thèse du béotien : L'oiseau de la photo peut être un bec-croisé d'Ecosse, donc c'en est un !...
Enfin, et je crois que c'est là que réside le noeud du problème, il me semble que les spécialistes maîtrisent assez mal leurs langues respectives et n'ont pas tout à fait compris ce que signifient "espèce", "race" ou "variété"... Mais comme la démarche utile à cette compréhension relève plus de l'analyse et de la réflexion que des calculs et des statistiques, ils préfèrent changer le sens du mot à leur avantage et embrouiller ainsi les pauvres profanes que nous sommes...
Un seul bec-croisé observé malgré de nombreux passages en forêt d'Abernethy tout au long de mon séjour... Le sujet de la photo a attiré mon attention par un cri et se tenait perché à la cime d'un pin, par un après-midi dont vous pourrez déduire la luminosité de la qualité de la photo !...